Quelle éthique pour la biologie synthétique? [1]

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[ Mon. May. 24. 2010 ]

Coup de tonnerre jeudi dernier: une étude publiée dans le magazineScience [4] rapporte comment 24 scientifiques du J. Craig Venter Institute [5]ont conçu par ordinateur, synthétisé puis assemblé un petit chromosome, qu’ils ont ensuite transféré dans une cellule préalablement vidée de tout autre matériel génétique.

Pilotée par ce petit bout d’ADN entièrement synthétique, la cellule a exprimé les instructions codifiées dans son nouveau génome et s’est multipliée. Plus facile à raconter qu’à faire, comme vous pourrez le lire dans cet article de La recherche [6].

J’ai préféré attendre quelques jours avant de commenter cette annonce, car les réactions qu’elle suscite sont presque aussi intéressantes que l’étude elle-même.

Rappelons d’abord que ce n’est pas d’hier que des scientifiques tentent de recréer la vie en laboratoire. Dans les années 1960, le prix Nobel d’origine indienne Har Gobind Khorana [7] fut le premier à synthétiser de l’ADN, et le virus de la poliomyélite a été fabriqué en 2002 par l’Américain Eckard Wimmer [8].

Les scientifiques jouent-ils à Dieu ? À chacune de ces nouvelles avancées, certaines personnes attendent fébrilement la réaction du Vatican (même si Dieu ne fait pas partie des hypothèses sérieusement envisagées par les scientifiques pour expliquer l’apparition de la vie sur Terre…).

Cette fois, Rome voit les choses plutôt d’un bon œil. Bizarre, quand même, la réaction de Rino Fisichella [9], le président de l’Académie pontificale pour la Vie, qui considère qu’il ne s’agit que d’une étude théorique et qu’il est encore trop tôt pour émettre un jugement éthique. Il s’agit pourtant bien d’une avancée expérimentale !

Le président Obama, lui, a au contraire déjà expressément demandé à laPresidential Commission for the Study of Bioethical Issues [10], créée en novembre dernier, de se pencher au plus vite sur les découvertes de Craig Venter (lettre d’Obama en pdf [11]).

En France, l’association Vivagora [12] s’inquiète aussi au plus au point des questions éthiques que pose la biologie synthétique, résumées sur son site. Voyez aussi, si vous lisez l’anglais, les points de vue très éclairés sur cette avancée, comme celui du spécialiste de l’évolution Richard Dawkins, présentés sur le site de la Edge Foundation [13].

Il faut effectivement s’interroger sur les usages d’une technologie potentiellement aussi révolutionnaire, voter des lois si nécessaire, mais sans pour autant verser dans la paranoïa.

Ainsi, la probabilité que les découvertes de Craig Venter soient récupérées par des terroristes pour tuer des milliers de gens est absolument infime. La peur qu’elle suscite relève essentiellement du fantasme.

L’être humain a déjà inventé au fil de son histoire une multitude de technologies susceptibles d’être détournées à des fins terroristes. Comme on l’a vu le 11 septembre 2001, même de simples avions de ligne peuvent devenir des armes redoutables!

Le monde regorge déjà de bactéries et virus pathogènes, alors pourquoi se compliquer la vie pour en fabriquer? Comme le raconte très bien le microbiologiste français Patrick Berche [14] dans L’histoire secrète des guerres biologiques, mensonges et crimes d’État, il est fort difficile de transformer un virus ou une bactérie en une arme efficace.

L’autre grande inquiétude tient au fait que Craig Venter a déjà déposé plusieurs brevets en rapport avec la biologie synthétique et qu’il passe pour un génie du marketing [15].

Y a-t-il là aussi des risques de dérive? Peut-être. Mais force est de constater que depuis que Craig Venter a claqué la porte de la recherche publique dans les années 1990 pour voler de ses propres ailes, le retombées économiques de ses découvertes ont essentiellement servi à financer ses recherches.

C’est grâce à cet argent que ce vétéran du Vietnam a pu s’aventurer dans des chemins scientifiques peu fréquentés. Craig Venter est peut-être très doué pour gagner de l’argent, mais c’est avant tout un authentique génie, comme on n’en compte pas beaucoup.

Après avoir développé la technique du séquençage automatisé qui lui a permis de séquencer le génome humain pour une fraction du coût du programme public, il a été le premier à publier la séquence d’un génome individuel (le sien!), puis a largement participé au décollage de lamétagénomique [16] en lançant un vaste inventaire de la vie dans les océans du globe, avant de se tourner vers la biologie synthétique. Tout ça en moins de 20 ans!

 Contrairement à une idée reçue, il ne se fiche pas du tout des questions d’éthique reliées à la biologie synthétique. En 2007, le J. Craig Venter Institute a d’ailleurs publié son propre rapport sur le sujet sous le titre deSynthetic genomic : options for governance [17], réalisé en collaboration avec le MIT [18] et le Center for Strategic and International Studies [19].

Dans ce document, il y suggère déjà plusieurs pistes pour encadrer cette technologie… trois ans avant que le gouvernement américain ne s’en soucie!

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